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Gorazde - Joe Sacco

La guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995) vient de prendre fin (accord de Dayton-Paris, 1995) lorsque Joe Sacco décide de s'y rendre pour ses reportages (1995-1996). Comme il le dit lui-même : "C'est ma rage contre cette guerre, plus proche du carnage que du combat entre armées, qui m'a incité à me rendre en Bosnie." Malgré la présence des casques bleus et celle de l'armée française, les populations qui peinent à se remettre des désastres causés par la guerre, vivent encore dans des conditions précaires et craignent pour leur avenir plus qu'incertain. L'enclave est alors toujours occupée par les serbes et l'accès à la ville est un véritable parcours du combattant pour le journaliste américain. Bloqué à Sarajevo, Joe Sacco est découragé mais il parvient à ses fins et découvre une ville sinistrée dans laquelle il fait contre toute attente, de belles rencontres. La venue d'un étranger à Gorazde par la Route bleue (route aménagée par l'ONU reliant Gorazde à Sarajevo) ne manque pas d'intriguer les habitants qui y voient une occasion inespérée de communiquer avec "l'extérieur". C'est à Gorazde que Joe Sacco passera quelques-uns des meilleurs moments de sa vie en compagnie d'Edin, de Riki et des Vilaines...

La guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995) : une guerre totale

De ces misères subies par les victimes de la guerre, nous en partageons les peurs et les angoisses avec effroi mais aussi avec pudeur. Comme dans toute guerre, on constate que les erreurs se reproduisent : des communautés qui vivaient jusqu'alors en harmonie se déchirent et s'entretuent du jour au lendemain pour des raisons qui leur échappent. Les témoins sont unanimes : avant la guerre, serbes, croates et bosniaques entretenaient des relations de bon voisinage (des relations normales pour le dire autrement). Mais la guerre et les conflits politiques ont changé à jamais leur vision des choses. Au moment où Joe Sacco enquête (3 missions entre 1995 et 1996), Gorazde est une enclave sous le contrôle des serbes. Malgré la présence des casques bleus et celle de l'armée française, les ravitaillements notamment ceux des organisations humanitaires, se font au compte-goutte. La fermeté du leader serbe Radovan Karadzic et celle du commandant militaire Radko Mladic face à l'ONU obligent l'OTAN à intervenir (cf. La guerre blanche ou encore L'offensive de 1994 rapportée par Edin). Sur le terrain, les gens meurent de faim. Les serbes de Gorazde ont pour beaucoup fui la ville. Les bosniaques et croates sont pourchassés, exécutés, c'est le nettoyage ethnique. Leurs maisons sont visées par les tirs d'obus, elles sont brûlées, pillées. Seul l'argent permet encore à certains d'échapper à leur triste destin. La faim, le froid et la misère qui règnent sur Gorazde, anéantissent tout espoir d'un avenir meilleur. Comparée à Sarajevo, Gorazde, ville de Province et enclave bosniaque, est oubliée... Gorazde permet à Joe Sacco de faire la lumière sur l'absurdité de ce conflit sanglant...



La guerre de Bosnie-Herzégovine selon Joe Sacco

A la croisée du journalisme et de la bande-dessinée, le BD reportage de Joe Sacco a définitivement acquis ses titres de noblesse. Comme dans Gaza 1956 ou ReportagesGorazde propose un discours engagé du dessinateur mais il questionne en même temps sur le positionnement : celui de l'auteur, celui des témoins et celui du lecteur. Personnage de ses propres planches, Joe Sacco tient à montrer qu'il garde une certaine distance par rapport à son objet d'étude. L'exercice est pourtant difficile et Joe Sacco ne s'en cache pas. Comme toujours, les raisons qui motivent les enquêtes du journaliste ont souvent pour objectif de donner la parole aux oubliés et aux anonymes. Les récits rapportés dénoncent un pan de la réalité dont on est loin de se douter. Il s'agit comme pour toutes le oeuvres de Sacco, d'un certain regard porté sur l'histoire. Les techniques de narration pour Gorazde ne dérogent pas de celles employées par le journaliste pour ses autres reportages : collecte d'informations, entretiens, notes, enregistrements, et photos constituent les matériaux de base du processus de création du dessinateur. Alors que les envoyés spéciaux débarqués à Gorazde à la recherche de scoops rapportent en vitesse les mêmes clichés biaisés (cf. les enfants filmés qui se jettent avidement sur les bonbons), Joe Sacco donne à voir un discours différent des versions officielles ou de celles des médias traditionnels. Peu des journalistes dépêchés en urgence sur le terrain ont le temps de s'intéresser aux événements comme Joe Sacco le fait. Ses différents témoignages chronologiquement réorganisés dans le temps, permettent une reconstitution historique intéressante appuyée sur les faits et sur le dessin, technique qui offre de grandes possibilités en termes de narration. En ce sens, le travail de Joe Sacco dépasse le cadre du simple reportage : à la fois narrateur et acteur de son oeuvre, Joe Sacco apporte par la diversité de ses témoignages, un regard multiple sur les événements. Découvrir aujourd'hui ces planches initialement éditées en 2001, ne perd en rien de son intérêt : avec le recul, on se repenche au contraire avec un regard différent sur ce terrible conflit et on est conquis par ce remarquable travail qui n'offre pas un point de vue figé. La démarche à la fois journalistique (valeur informative) et artistique (le traitement graphique et le parti pris de Joe Sacco) exigent une lecture active particulièrement enrichissante (cf. l'appareil critique abondant et le travail documentaire donnent d'ailleurs beaucoup de profondeur à Gorazde). A lire de toute urgence !

Si je vous ai convaincu de lire cet ouvrage, notez que vous pouvez vous le procurer sur Amazon via le lien suivant : Gorazde.


Pour aller plus loin...

La présente édition proposée par Rackham comprend en annexe, un entretien entre Joe Sacco et Gary Groth (éditeur de Sacco) : Joe Sacco, journaliste sur le front. Initialement paru dans The Comics Journal Special Edition (Hiver 2002), cet entretien passionnant livre une sorte de grille de lecture sur le processus de réflexion et de création de Joe Sacco. Je ne résiste pas à vous en partager quelques extraits :

Groth : Laisse-moi t'interroger sur les partis pris du livre : la dimension partisane que tu penses y avoir injecté, la part d'objectivité que tu as pu conserver...

Sacco : J'étais partisan, je ne vais pas le nier. Mais j'ai essayé d'être juste. Je regrettais le sort du peuple du sort bosniaque et condamnais les actes des serbes nationalistes, mais aussi l'ONU et, en particulier, la gestion américaine du conflit. Une intervention plus prompte face à l'escalade de folie, qui a fini par arriver tant ce qui se passait était honteux, aurait pu épargner des vies.

Groth : Pour revenir brièvement sur la distinction entre art et journalisme, considères-tu ce livre comme un travail journalistique ou artistique (ce qui est mon cas) ? Le conçois-tu comme ça ?

Sacco: Non.

Groth : Je veux dire, sans essayer d'être prétentieux, juste histoire d'appeler un chat, un chat.

Sacco : D'accord : j'essaie de montrer l'histoire d'une ville en guerre de façon artistique. Je pense que beaucoup de lecteurs sont rebutés par ce genre de sujet ; pas leur tasse de thé, trop lourd, trop dur ou trop compliqué. L'idée est donc de montrer un projet journalistique par essence, mais d'en souligner la dimension humaine. En fait, en tant que journaliste, tu peux sans doute aussi humaniser les choses. Je voulais transmettre à la fois des informations fondées et factuelles, des impressions, des histoires individuelles etc. mais je veux aussi que les gens le lisent. Et du coup, je cherche à les toucher, bien sûr. Sauf que le journalisme pur et dur consiste moins à émouvoir qu'informer... Informer, ce n'est pas ce que... ça m'importe, évidemment, mais ce n'est rien comparé à l'impact que je souhaite avoir. Si tu parviens à intéresser les gens, c'est que le côté artistique fonctionne. Le sujet est dur, brutal et même carrément diabolique à certains égards. Alors pourquoi lire un truc pareil ? Tu le lis parce que ça te touche. Humaniser les personnages pour que le lecteur accroche au récit était mon défi. Ce qui est possible en les dessinant, en montrant leur visage, leur maison et précisément le genre de personne qu'ils étaient.


Vous trouverez ci-dessous un entretien vidéo de Joe Sacco datant de 2001 :



Extraits 

"L'espoir était une bonne chose pour qui croyait encore à un au delà de l'horizon, mais il portait en lui le risque d'une déception, la goutte d'eau. " p.65 à propos de la Route bleue
Dédicace de l'auteur

Ce livre est dédié à la ville de Gorazde où j'ai passé quelques-uns des meilleurs moments de ma vie.

  • Titre : Gorazde
  • Auteur : Joe Sacco
  • Introduction : Christopher Hitchens
  • Traducteurs : Stéphanie Capitolin, Sidonie Van Dries, Corinne Julve
  • Date de parution : 2011 pour la présente édition
  • Nombre de pages : 227 p.
  • ISBN : 978-2-87827-143-3
  • Crédits photographiques : Gorazde, Joe Sacco
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