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La cité du sang - Éric Fournier

Quel est le lien entre les garçons bouchers de la Villette et l'affaire Dreyfus ? Comment la "droite révolutionnaire" a t-elle instrumentalisé les membres de la "Cité du sang" au profit de l'antisémitisme ? Pourquoi cet engouement pour les tueurs des échaudoirs ? Quel fût leur rôle dans cette crise politique qui frappe alors la France ? Quel dénouement pour cette crise qui prend des allures de farce ? Qu'en est-il des anarchistes de Sébastien Faure et autres antidreyfusards ? Et la police du préfet Lépine ? Et les journaux ? Alors que Paris traverse une période particulièrement troublée de son histoire, les tensions politiques qui couvent depuis la fin de la Commune et la restauration de la 3e République, trouvent dans ces années 1890 une occasion rêvée de s'exprimer. Comme toujours, il y a les instigateurs, les opportunistes et les suiveurs... Parmi les grandes figures du mouvement antisémite, se distingue le Marquis de Morès. Dans son sillage, s'illustre avec zèle Jules Guérin. Durant cette folle période de surenchère à la haine, les bouchers de la Villette, fort de leur virilité, de leur pouvoir et de leur grande gueule, investissent le pavé en scandant "mort aux juifs". La fascination qu'ils inspirent aux nationalistes et autres curieux les propulsent sur le devant de la scène mais l'histoire montre que leur arrogance n'est qu'une coquille vide. Grâce à cette passionnante étude d'Éric Fournier, c'est un épisode assez mal connu de l'histoire de Paris que l'on découvre.

Comment les bouchers de la Villette entrent dans l'arène politique française dans les années 1890 ?

Dans les années 1890, les nouveaux abattoirs de la Villette ont relégué depuis peu les bouchers à l'orée de la ville. Ces derniers sont confinés dans des espaces clos (échaudoirs) et contrôlés par les autorités administratives. Alors que les tensions sociales et politiques alimentées par l'esprit revenchard de certains ex-communards et la frustration des nationalistes et autres libertaires se multiplient, le Marquis de Morès, piètre politique mais bon connaisseur du métier de boucher, profite du chaos régnant pour rallier la corporation à sa cause : fiers de leur métier qu'ils considèrent à la fois symbole de mort et de vie, les garçons bouchers manipulés par le marquis, veulent reconquérir leur influence d'antan. L'année 1892, marquée par "l'affaire des viandes à soldats", précipite les événements et donne à Morès un excellent prétexte pour mobiliser les travailleurs des abattoirs : la peur, le respect et la fascination qu'ils inspirent sont de parfaits arguments pour en faire ses sbires. Au sein même de la Cité du sang, l'abattage rituel du bétail pratiqué par les bouchers israélites participe encore de la montée de la haine. Morès organise ses premières conférences. Avec l'affaire Dreyfus qui éclate en 1894, le bouc émissaire est tout trouvé. En 1896, Jules Guérin prend le relais du marquis et crée dans la foulée la Ligue antisémite de France (LAF) pour mener ses actions et diffuser sa propagande antidreyfusarde. En 1897, les bouchers sont de nouveaux sollicités pour jouer les gros bras mais face aux anarchistes, aux allemanistes et aux forces de police, ils se révèlent n'être que des pantins à la solde de Guérin. Les groupuscules politiques qui jusqu'alors se tenaient en retrait, entrent dans la danse lorsque la condamnation du Capitaine Dreyfus est révisée par la cour de justice. Le siège du "Fort Chabrol" qui dure quelques semaines, se conclue par la capitulation du leader antisémite et le retour des bouchers à leur échaudoirs...

La cité du sang d'Éric Fournier, une étude originale sur la propagande antisémite et anti-dreyfusarde à travers le théâtre de la rue

L'auteur de La Commune n'est pas morte. Les usages politiques du passé de 1871 à nos jours, propose pour son premier ouvrage un voyage captivant dans le temps. A travers son étude richement documentée, on découvre étonné les événements historiques de l'époque : en effet, l'implication des bouchers de la Villette et leur instrumentalisation par les nationalistes a été relativement peu étudiée et relayée. Si cette période de grande agitation politique marquée par l'Affaire Dreyfus a suscité de nombreuses analyses, rares sont les travaux qui ont envisagé le sujet du point de vue des gens de la rue. Pourquoi s'être intéressé aux bouchers de la Villettte ? A cette question posée par W. Blanc du site Goliards, les humanités populaires, Éric Fournier répond : "La plupart des historiens travaillant sur l’affaire Dreyfus ou sur la montée de la « droite révolutionnaire », pour reprendre l’expression de Zeev Sternhell, évoquaient rapidement l’agitation et les violences antisémites des bouchers de La Villette. Mais ceux-ci étaient réduits à un élément incongru, un détail détonnant. Or, cherchant un sujet de maîtrise en 1996, je voulais étudier les liens entre les faits sociaux et les représentations d’une part et les pratiques de la violence politique urbaine d’autre part. Je cherchai un objet au « ras du sol » ou plus précisément au « ras du pavé » parisien. Ces bouchers, qui constituaient l’élite des services d’ordre antisémites, étaient donc un morceau de choix." 

Cette piste d'étude est d'ailleurs d'autant plus intéressante si l'on prend en considération la dimension comique qu'Éric Fournier donne à son analyse : "Plus d'une fois, le lecteur est invité à sourire ou à rire, aux dépens des bruyants matamores des abattoirs. Condamner l'antisémitisme, après tout, est un acte de salubrité publique élémentaire. Mais en rire ? L'affaire n'est-elle pas un sujet grave et l'antismémistisme une bête immonde avec laquelle on ne badine pas ? Sans doute. Mais le rire a sa place dans l'écriture de cette histoire, qu'il répond à des méthodes et à des objectifs." (p.12). La situation frise en effet parfois le grotesque. Pourquoi donc s'empêcher d'en rire même si le sujet ne s'y  prête pas au départ ? Pour finir, on soulignera le louable parti pris de l'auteur : "Si l'analyse donne parfois des airs de réquisitoire, c'est pour réduire des groupuscules antifreyfusards à leur force réelle, percer l'écran des représentations, ne pas être dupe de leur propagande. Certes l'historien doit comprendre, non juger. Mais ici, la frontière est mince. Tant de médiocrité et de haine ne peuvent laisser froid." (p.12). Pour les raisons développées plus haut, on concèdera que La cité du sang est une étude originale largement susceptible d'alimenter les recherches sur le sujet. C'est donc avec enthousiasme que je vous invite à vous plonger dans la découverte de ce passionnant épisode de l'histoire de Paris.

Pour aller plus loin

Je vous recommande vivement la lecture complète de cet entretien d'Éric Fournier avec W. Blanc du site Goliards, les humanités populaires qui vous en apprendra plus sur la démarche de l'auteur.

Notez qu'un extrait du livre est également consultable sur le site de l'éditeur Libertalia dont je ne saurais que vous recommander la découverte.

Je vous partage également la référence suivante : Vincent Chambarlhac, « Éric Fournier, La Cité du sang. Les bouchers de La Villette contre Dreyfus », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique. URL : http://chrhc.revues.org/336. Elle apporte un regard différent sur l'ouvrage.

Enfin, si vous souhaitez vous procurer cette captivante étude qui se lit comme un roman et dont le prix est très accessible, notez que vous pouvez l'acheter sur Amazon via le lien suivant : La cité du sang.


  • Titre : La cité du sang
  • Sous-titre : Les bouchers de la Villette contre Dreyfus
  • Auteur : Éric Fournier
  • Éditeur : Libertalia
  • Date de parution : 1er trimestre 2008
  • Nombre de pages : 147 p.
  • Illustrations : Gil
  • Couverture : Yann Levy
  • ISBN : 978-2-952-8292-5-0
  • Crédits photographiques : Illustrations de Gil


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