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Jours de destruction, jours de révolte - Chris Hedges & Joe Sacco

C'est en sillonnant les États-Unis pendant deux ans que Chris Hedges et Joe Sacco ont collecté les témoignages qui nourriront ce reportage accablant sur la civilisation américaine moderne. Déclinant leur travail d'enquête par zone géographique sous la forme de cinq chapitres, les deux compères donnent à voir à travers leur travail, une image souillée du rêve américain. La réserve indienne de Pine Ridge (Dakota du Sud), les mines de Welch (Virginie occidentale), les camps d'ouvriers agricoles d'Immokale (Floride) ou la décharge publique de Camden (New Jersey), sont en effet devenus de sordides ghettos où violence, pauvreté et désespoir font le quotidien de leurs habitants. Pétris de drames humains, ces territoires oubliés des autorités publiques, accusent lourdement une Amérique malade de ses mensonges et ses contradictions...


Jours de destruction, jours de révolte, un ouvrage hybride au ton moralisateur

    © Joe Sacco
 
Chris Hedges et Joe Sacco ne sont pas les premiers à s'être intéressés à la question : parmi les grandes figures qui se sont engagées en faveur des laissés-pour-compte de l'Amérique, citons l'incontournable Howard Zinn, qui avec son Histoire populaire des États-Unis (édité pour la première fois en 1980 et admirablement adapté en BD en 2009), alertait déjà le monde de la situation désastreuse des citoyens américains de "seconde zone" et de la catastrophe écologique causée par la course aux profits. Rien de nouveau donc dans cette démarche du duo Hedges/Sacco exceptés (ce qui n'est pas rien) le caractère inédit de cette collaboration, l'immense valeur documentaire des nouveaux témoignages réunis et la masse colossale d'informations compilée pour les besoins de ce reportage prometteur. Seulement, en plus de prendre le risque d'aborder un sujet déjà intelligemment étudié par d'autres, les co-auteurs (ou leurs éditeurs ?) ont opté pour une ligne éditoriale qui fait peu honneur à leur travail : "essai illustré", "BD essayiste" ou ouvrage illustré (on ne sait pas trop), ce livre au format hybride ne permet pas une lecture fluide à cause du flagrant déséquilibre entre textes et dessins. D'autre part, les propos "ultra-moralisateurs" de Chris Hedges, s'ils dénoncent à juste titre la capitulation des pouvoirs publics américains face à la misère des ghettos et par extension la suprématie des systèmes financiers, finissent par lasser. On a l'impression de regarder un documentaire de Yann Arthus Bertrand dont on reconnait la qualité et la pertinence des images (cf. les quelques planches efficaces de Joe Sacco) mais dont les textes, finissent par devenir insupportables à force de répétitions et de sentences (cf. le prêche presque ennuyeux de Chris Hedges). En fait, cette publication aurait gagné à être harmonisée au niveau des contenus pour rendre vraiment hommage au projet et au message porté... Ceci dit, on ne pourra que reconnaître le bien-fondé de la démarche qui apporte tout de même quelques éclairages et qui s'en remet à la conscience des citoyens...

Cinq lieux, cinq combats menés contre un ennemi commun : la suprématie de l'argent

       © Joe Sacco

Le temps des spolations (chap. I) dépeint le combat des Amérindiens pour la défense de leur droits territoriaux et le paradoxe des réserves indiennes (dont celle de Pine Ridge) où délinquance, violence, et crimes sont légions. Dépossédés de leurs terres, forcés à renier leurs traditions et finalement parqués comme des animaux dans des réserves où règnent désormais les gangs, les descendants de Crazy Horse, Sitting Bull ou Wounded Knee ont perdu toute dignité. Mais pas tous : quelques repentis ou quelques âmes fortes continuent de se battre à l'instar de Mike qui découvre l'éveil spirituel dans les sweat lodges en prison ou Verlyn Long Wolf, qui violée dès son enfance, a gagné son combat contre l'alcoolisme...

Jours de siège (chap. II) donne la voix aux pauvres de Camden (New Jersey) qui fut une ville prospère dans les années 60. Des spéculateurs sans scrupules (cf. l'empire de Norcross) emmenant avec eux la corruption, ont peu à peu paupérisé la ville et laissé dans la misère les pauvres (en majorité les classes ouvrières ou les afro-américains) qui n'ont pas eu les moyens de partir. Analphabétisme, trafic de drogue, prostitution, criminalité frappent cette ville pourtant régie par des multi-millionnaires. Heureusement, cette ville compte encore des Mme Davis ou des pères Doyle qui croient encore que du pire, peut germer le meilleur...

Le temps de la destruction (chap. III) raconte le pillage organisé des ressources naturelles de Virginie occidentale. Après avoir asservis les mineurs et leurs familles pendant des décennies, dévasté des centaines d'hectares de forêts et empoisonné des milliers de personnes pour générer toujours plus de profits, les puissantes compagnies minières continuent de mépriser les conséquences écologiques et sanitaires désastreuses de leurs exploitations en achetant le silence des élus et des puissants. A travers la révolte de Larry Gibson, c'est au récit d'une hécatombe que l'on assiste. Mais Larry est catégorique : ce qui lui donne la force de continuer, c'est qu'il sait que son combat est juste...

Le temps de l'esclavage (chap. IV), on le sait, n'est toujours pas aboli de nos jours. On parle désormais d'esclavage moderne mais que se cache derrière cette expression ? Les champs de coton autrefois prospères grâce à l'esclavage des noirs ont aujourd'hui laissé place aux plantations de tomates qui exploitent honteusement la main d’œuvre issue de l'immigration clandestine. Salaires de misère, conditions de vie déplorables, mauvais traitements, abus sexuels, chantages, les "esclaves modernes" participent à leurs dépends à un système profondément corrompu par l'argent. Nombreux sont ceux qui comme Ana regrettent d'avoir quitté leur pays mais tant que des Lucas Benitez se battront pour leur cause, il reste un infime espoir...

Jours de révolte (chap. V) revient sur la mobilisation collective du mouvement Occupy Wall Street. En 2012, celui-ci inspiré par les révolutions arabes, a soufflé un vent de révolte (aujourd'hui éteint) à travers tous les États-Unis. Comme pour tous les mouvements de contestation populaire, Chris Hedges rappelle à travers cet exemple et d'autres cas historiques, qu'il suffit parfois d'un élément déclencheur inattendu pour réveiller les consciences. Ketchup qui a participé à la mobilisation témoigne avec enthousiasme de l'effervescence qui régne alors à New-York...

Ce dernier chapitre censé clore la série de reportages sur une note optimiste convainc peu : aujourd'hui en 2015, les mouvements contestataires prônant la désobéissance civile s'essoufflent et chacun a repris sa vie. Restent les Mike, Mme Davis, Larry Gibson ou Lucas Benitez et les autres pour qui la lutte demeure une question de vie ou de mort. Plus qu'une dénonciation, cet ouvrage est à mon sens un bel hommage à leur combat...

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  • Titre : Jours de destruction, Jours de révolte
  • Auteur : Chris Hedges
  • Illustrations : Joe Sacco
  • Traducteur : Sidonie Van den Dries (BD) et Stéphanie Dacheville (texte)
  • Éditeur : Futuropolis
  • Date de parution : Novembre 2012
  • Nombre de pages : 304 p.
  • ISBN : 978-2754808767
  • Crédits photographiques : © Joe Sacco


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